C'est parce que je roule en moi
ces choses sombres,
C'est parce que je vois l'aube
dans les décombres,
Sur les trônes le mal,
sur les autels la nuit,
C'est parce que, sondant ce qui s'évanouit,
Bravant tout ce qui
règne, aimant tout ce qui souffre ;
J'interroge l'abime, étant moi-même gouffre ;
C'est parce que je suis parfois,
mage inclément,
Sachant que la clarté
trompe et que le bruit ment,
Tenté de reprocher aux
cieux visionnaires,
Leur crachement
d'éclairs et leur toux de tonnerre ;
C'est parce que mon coeur, qui
cherche son chemin,
N'accepte le divin qu'autant
qu'il est humain ;
C'est à cause des tous
ces songes formidables,
Que je m'en vais, sinistre, aux
lieux inabordables,
Au bord des mers, au haut des
monts, au fond des bois.
Là, j'entends mieux
crier l'âme humaine aux abois :
Là, je suis
pénétré plus
avant par l'idée
Terrible, et cependant de rayons
innondée.
Méditer, c'est le
grand devoir mystérieux ;
Les rêves dans nos
coeurs s'ouvrent comme des yeux,
Je rêve et je
médite, et c'est pourquoi j'habite,
Comme celui qui guette une
lumière subite,
Le désert et non pas
les villes ; c'est pourquoi,
Sauvage serviteur du droit contre
la loi,
Laissant derrière moi
les molles cités pleines
De femmes et de fleurs qui
mêlent leurs haleines,
Et les palais de rires et de
festins,
De danses, de plaisirs, de feux
jamais éteints,
Je fuis, et je
préfère à toute cette
fête,
La rive du torrent farouche,
où le prophète
Vient boire dans le creux de sa
main en été,
Pendant que le lion boit de
l'autre côté.